Le détail n’aura échappé à personne : de Fréjus au levant, à Bayonne au ponant, le soleil joue au chat. Des sérieuses places à l’ombre, où les glaçons fondent moins vite, jusqu’au populaire dernier rang, debout, quand on écrase au pied les gobelets de bière en plastique pour les ravir au vent, le chemin des arènes françaises emprunte la route des grands vignobles sudistes.
On objectera que sur cette autre course et cette révolution, de mars à septembre, flotte généreusement une épaisse odeur anisée répartie entre les rouges –les plus sages, mais qui dépassent toutefois d’un pourcent la majorité des imbéciles- et les jaunes, mais chaque plazza s’entoure de ses vignobles, y défend ses particularismes, son terroir, son éthylisme tangible, bref, tout ce qui permet à l’office du tourisme local et au syndicat des producteurs réunis d’afficher ses banderoles et, à l’attaché de presse, d’exiger quatre barreras pour d’improbables plumes du Figaro Madame, mais qu’elle refilera finalement aux amis de son filleul en villégiature dans sa villa d’été pour réviser leurs partiels de septembre.
En revanche, on écartera facilement de la main et d’une passe du mépris les rares buveurs de champagne puisque jusqu’ici, les jeteurs de Cava restent en deçà du col de Fontevrault. Seuls l’âge et l’expérience tolèrent les tournées de bulles tièdes dans des gobelets à pied Métro en plastique.
De l’est à l’ouest, les vins gagnent en densité. En Provence, on célèbre les Cinsault rosés et cette vision un peu diluée d’une Espagne de poupée sévillane sur un napperon, au dessus de la télé. Jenifer, Nolwen et Lara Fabian : c’est un cartel pour Istres. Grand Dieu, c’est qu’on est plus proche des marchés de dupe de Vintimille que de Bilbao. A Arles, pour Pâques, premier soleil. Dans la pena des Losada on trouve du fino le vendredi soir quand il pleut mais, dès le lendemain, les TGV de la gare de Lyon déversent pour la fin de la novillade de 11 heure d’irréductibles buveurs de Rosé ensablé, tout près de réclamer le même après midi l’indulto après deux droitières les fesses à Méjanes, une main pour la crème solaire passée sur les genoux de Chloé, l’autre tenant le Palm : « c’est formidable ». Plus tard, Nîmes célèbre le renouveau languedocien mais reste protestante dans ses rivalités. On connaît un maire de la ville au crocodile qui fit renvoyer quatre palettes de Coteaux du Languedoc pour la Pentecôte, et dépêcha les estafettes du service de nettoyage de la ville chercher des Costières pour la Bodega de la municipalité.
Béziers souffre irrémédiablement de sa proximité intellectuelle avec le Cap d’Agde et s’endort sous les mojitos servis dans l’hôtel particulier réservé pour le Syndicat des Vins de pays d’Oc. Qui a vu la plaine biterroise et lu les pérégrinations du Quichotte comprendra. Décidemment, Sébastien ne méritait pas ça. De même, tous ceux qui prétendraient que la déroute de Fenouillet nous permettra à l’avenir d’éviter de boire des Buzet et des Gaillac de l’année sont des imbéciles. De bons dégustateurs, mais des imbéciles.
Pour toutes les bonnes raisons du monde et d’autres inavouables, Céret roule de façon inimitable les Grenache des PO et c’est aux Feuillants qu’on espère qu’Espla viendra redessiner une affiche. Quand se pointent les tourelles de Carcassonne, on entre aperçoit dans les cartels des rudes novillades la vendange toute proche des Carignan du Minervois. Si les antis sont déjà repartis défendre l’implantation de l’ours des Pyrénées, c’est qu’elle sera bonne.
A Vic, qui n’a pas dîné avec ses quatorze copains et le coupeur d’orange en face des arènes, sous les canisses avec un verre de Madiran n’a pas compris la subtile rudesse de sa présidence. Et puis voici Mont de Marsan avec ses Tursan durs comme autrefois les capes amidonnées, loin des flasques torchons des figuritas invités par la nouvelle présidence. Et Dax la sublime avec les rives de l’Adour, plus moelleuses que des canapés pour siroter un Pacherenc en attendant le paseo. Avant d’arriver au petit Bayonne où tout est permis : Irouléguy, Kaas, Gin, Rouge, Coca, Rosé, Schweppes, Blanc dans l’ordre et le sens que vous voudrez.
Et puis les autres, toutes les autres : la douceur du Muscat à Lunel, la rudesse des Armagnac à Eauze où un soir Julio Aparicio le fils buvait du petit lait et du coca comme s’il avait déjà le mal au crâne du lendemain matin, les cailloux d’Alès comme des amandes effilées dans une déconfiture de Palha, les Maury de Milhas, les sangria de Parentis, le Saint Mont à Hagetmau, les Graves de Labrède… Floirac reste un mystère : une incursion en terres girondines où l’on se dit que les rigueurs médocaines sont curieusement desservis par les chorégraphies de Conde. Décidément l’homme est un vin de garage, aussi rare et introuvable sauf aux amateurs fortunés.
Pour mémoire et plus amples informations, on consultera avec profit les étagères des supérettes Coccinelle du grand sud pour découvrir, quelle que soit la saison, la cuvée spéciale de la féria précédente. Voire celle de l’année antérieure, si le patron ne s’est pas encore décidé à les offrir en lot spécial pour le Téléthon.
Plusieurs autres géographies pourraient à juste titre s’épanouir. Peut être qu’un jour un sociologue à jeun nous expliquera pourquoi on croise toujours aux alentours des arènes autant de vignerons, aussi épris de toros qu’ils le sont en général de leurs vignes. L’amour de l’incertitude ? Une vendange, c’est presque pire q’un tour de passe-passe dans un chapeau un matin.
A la longue, la route des arènes suit l’envie et les différences, toutes celles que l’on veut voir chaque fois que s’ouvre la porte du toril. Le jour où il y aura des arènes à Beaune, on se demande bien quels toros et pour qui on les mettra au cartel.
François Bannier
Les commentaires récents